Le 29 février 2024, la Cour d’appel du Québec a confirmé la constitutionnalité de la Loi sur la laïcité de l’État, mieux connue sous le nom de « Loi 21 ». Cette loi, adoptée sous bâillon en 2019, prévoit deux principales interdictions: le port de symboles religieux pour les membres de l’État en position d’autorité tels que les juges, les policier.ère.s et les enseignant.e.s du système public ainsi que l’obligation, pour tou.te.s les agent.e.s étatiques, d’exercer leurs fonctions à visage découvert.
L’adoption de la loi, tout comme sa contestation judiciaire, n’a pas tardé d’enflammer l’opinion publique; les détracteurs de la législation s’indignant de sa portée discriminatoire et de ses intentions racistes et ses partisans, saluant une prétendue « victoire pour la nation québécoise ». Nous soutenons que deux répercussions majeures sont attendues de ce jugement : la normalisation de la clause dérogatoire et la discrimination à l’encontre des minorités visibles, principalement des femmes musulmanes. Cet article expose les points clés du jugement conduisant à ces impacts.
Le risque de normalisation de la clause découle de la confirmation par la Cour de son manque de compétence pour apprécier l’atteinte à certains droits fondamentaux ainsi que des principes de l’arrêt Ford c Québec. En effet, la Loi 21 repose sur une clause dérogatoire qui permet de contrevenir aux articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne (libertés fondamentales et garanties juridiques) et 1 à 38 de la Charte québécoise (libertés et droits politiques et judiciaires). Par conséquent, la Cour peut uniquement examiner la légalité du recours à la clause contenue dans la Loi 21 et non la compatibilité, sur le fond, de la législation « avec les dispositions des chartes à l’application desquelles elle a été soustraite ». Les justiciables sont ainsi privés de contester la Loi en alléguant la violation de certains droits.
Par ailleurs, en examinant la légalité de la clause, la Cour a maintenu l’arrêt Ford, établissant des exigences de forme simples pour faire usage de la clause (une déclaration expresse que la Loi s’applique malgré les chartes suffit). Les législatures ne sont ainsi pas tenues d’« explique[r] ou [de] justifie[r] le caractère opportun de la politique législative ». Le jugement vient ainsi renforcer la facilité de contourner les droits consacrés par les chartes et les risques que ces clauses deviennent monnaie courante au Québec. Le gouvernement québécois a d’ailleurs promis de les utiliser « aussi longtemps qu’il va le falloir ». Les risques de dérives autoritaires deviennent dès lors très préoccupants.
En outre, en rejetant l’argument fondé sur l’article 28 de la Charte canadienne (égalité des sexes), la Cour a maintenu les effets discriminatoires de la Loi à l’égard des femmes musulmanes. La Cour a conclu que Loi ne pouvait être invalidée sur ce fondement, étant donné que l’article 28 ne crée pas de droit autonome qui pourrait être violé. Cependant, en examinant l’article 3 de cette même Charte (éligibilité aux élections), la Cour a reconnu l’impact négatif disproportionné de la Loi sur ces femmes et a ainsi confirmé l’exemption des député.e.s de l’Assemblée nationale de l’obligation d’exercer leurs fonctions à visage découvert.
Nonobstant cette exemption, nous sommes d’avis que la Loi 21 perpétuera la discrimination envers les femmes musulmanes dans d’autres sphères professionnelles, principalement dans les écoles publiques. La Loi serait en effet l’aboutissement de plusieurs tentatives de leur soi-disant « intégration » au sein de la société québécoise, alors que le maintien du port de signes religieux, tel que le voile, est souvent perçu comme une forme d’opposition à cette intégration. Il en résulte une discrimination à l’emploi qui entraînera inévitablement une marginalisation économique de ces femmes. Plusieurs enseignantes voilées se sont d’ailleurs déjà vu refuser certains contrats. En plus de cette insécurité économique, certaines femmes ont témoigné craindre pour leur bien-être physique et psychologique, se sentant exclues et méprisées plutôt que prétendument « intégrées ».
Chose certaine, le jugement de la Cour d’appel ne marque pas la fin de la contestation de la Loi 21. La Commission scolaire English-Montréal conteste déjà la décision devant la Cour suprême. Certains estiment que les probabilités sont favorables au renversement de la décision, puisque la majorité des juges y siégeant a été nommée par Justin Trudeau, porte-étendard du multiculturalisme.
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