Le coup le plus cruel de tous? La CEDH refuse d’intervenir sur l’abattage rituel

by | Apr 10, 2024

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About Elijah Granet and Geert van Calster

Elijah Granet is an LLM student at the University of Southern California, a contributing writer at the Constitution Society, and a graduate (LLB (Hons), 1st Class)  of the City Law School (University of London). Prof Geert van Calster is full professor in the University of Leuven and visiting professor ia at Monash University, Melbourne, and Melbourne University. He is a practising member of the Belgian Bar.

Devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour constitutionnelle belge, une coalition de groupes et d’individus musulmans et juifs ont lutté contre des réglementations régionales belges interdisant effectivement l’abattage rituel. Ils ont échoué dans les deux instances. L’espoir était mince que l’approche de la Cour européenne des droits de l’homme (« la CEDH ») soit différente. Par conséquent, en ce compris dans le contexte de la jurisprudence antérieure de la CEDH sur l’abattage rituel, la décision de la Cour de Strasbourg du 13 février dans l’affaire Executief van de Moslims van België c. Belgique déçoit dans sa volonté de ne pas s’engager correctement avec les garanties européennes de la liberté religieuse.

Contexte

Les régions belges de Flandre (2017) et de Wallonie (2018; une codification d’un décret antérieur de 2017) exigent l’étourdissement avant l’abattage des ruminants. Les décrets pertinents contiennent des exceptions générales autorisant l’abattage sans étourdissement dans le cas de la chasse ou de la pêche, ainsi que pour la lutte contre les nuisibles. Pour l’abattage rituel, ils contiennent une « exception » qui exige toujours une forme d’étourdissement. Cependant, la loi juive et certaines interprétations de la loi islamique interdisent l’étourdissement d’un animal avant l’abattage sous quelque forme que ce soit.

La garantie prévue à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme consistant en la liberté de manifester sa religion peut être restreinte par la loi, si cela est nécessaire dans une société démocratique pour la protection de la morale publique, de l’ordre public ou des droits et libertés d’autrui. La tâche de la CEDH était de décider si les restrictions en question étaient nécessaires pour atteindre leur objectif, et si la violation consécutive des droits des musulmans et des juifs était proportionnée.

La Belgique a affirmé, avec justification, que le bien-être animal est un objectif légitime dans une société démocratique. Avec beaucoup moins de justification, elle a également suggéré que l’élément de l’étourdissement n’était pas particulièrement essentiel sur le plan religieux (voir, par exemple, le paragraphe 84). Avec force, mais sans preuve jusqu’à présent, la Belgique a en outre affirmé qu’aucune autre mesure ne pourrait préserver le bien-être animal et que la nécessité de protéger les animaux signifiait que la mesure absolutiste était donc proportionnée.

La décision de la CEDH

La CEDH a accepté qu’il n’appartient pas à la Belgique de dicter quelle partie de l’abattage rituel est sacrée (paragraphe 85) ; les adeptes impliqués dans le litige et leur croyance cohérente, sérieuse et importante concernant le mode de l’abattage rituel sont protégés par l’article 9 (paragraphe 87). La Cour a également conclu que la notion évolutive de “morale publique” pouvait englober le bien-être animal (paragraphe 100) et que les États pouvaient choisir, dans le cadre de leur marge d’appréciation, de mettre l’accent sur la protection des animaux (paragraphe 106).

Cependant, lorsqu’il s’est agi de la proportionnalité et de la nécessité des mesures spécifiques, la CEDH a seulement fait valoir la “subsidiarité”. Elle s’en est entièrement remise aux conclusions de l’État quant à la disponibilité de mesures moins restrictives et  nous a assuré que les parlements régionaux avaient bien fait leurs devoirs (paragraphe 118). La CEDH, tout comme la CJUE et la Cour constitutionnelle belge avant elle, s’est appuyée sur la disponibilité de viande provenant d’abattages sans étourdissement dans la région de Bruxelles (où il n’y a pas une telle interdiction) ou provenant d’autres États (paragraphe 122).

La CEDH a également volontiers convenu qu’il n’y avait pas de discrimination puisque la chasse n’était en rien comparable à l’abattage rituel, à nouveau sans fournir de raisons.

Analyse

La déférence envers les autorités nationales est une vertu bien connue du droit européen, mais elle ne permet pas de contourner l’obligation de fournir des preuves. Le fait que la CEDH se contente d’acquiescer à un État qui prétend avoir fait ses devoirs rend le contrôle juridictionnel européen en matière de droits de l’homme inopérant. La Belgique s’est à peine souciée de justifier ses actes, préférant avancer des arguments touchant à des points de théologie.

Tout comme la CJUE avant elle, la CEDH ajoute également une éventuelle clause de fin de validité à son propre jugement. La justification au paragraphe 122 de la possibilité de s’approvisionner à l’étranger disparaît clairement si et quand les États, dans un effet domino, commencent à imposer des interdictions similaires. Cela signifie également que les droits des minorités dans un État dépendent de la disponibilité de tels produits dans d’autres États.

Le jugement, en mettant l’accent sur la consommation individuelle de la viande, ne traite pas de ce qui est sans doute une partie essentielle de la protection de l’article 9. Pour ceux qui professent la foi en question, ce sont la consommation de la viande produite conformément aux rites et l’accès aux rites eux-mêmes, qui font partie de cette expression religieuse. Pour mettre cela en perspective comparative : la liberté religieuse catholique (ici la Communion avec le Christ) serait violée si la Consécration de l’Hostie était interdite localement mais que la consommation d’Hosties Consacrées ailleurs était autorisée.

Par ailleurs, les tribunaux sont légitimement préoccupés par le risque que l’analyse de la proportionnalité ne transforme le contrôle judiciaire en un processus législatif. Pourtant, il est possible de basculer trop loin dans l’autre direction. Lorsqu’une restriction porte atteinte à un droit significatif, la proportionnalité doit être évaluée correctement et une discrimination évidente doit être remise en question. La CEDH a laissé l’essence d’un droit être sacrifiée sans même poser une seule question approfondie. Cela peut être une bonne politique, mais c’est une loi sur les droits de l’homme abyssale, et c’est à juste titre qu’un appel est porté devant la Grande Chambre.

** Many thanks to Charlotte de Meeûs for this French translation of this post **

 

 

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