‘Engagement significatif’ en droit du logement : une nouvelle approche en matière de campements informels au Québec?

by | Apr 18, 2023

author profile picture

About Marie-Hélène Lyonnais

Marie-Hélène Lyonnais is an MJur candidate at the University of Oxford, as a McCall MacBain Scholar. She completed her BCL and JD degrees at McGill University in 2020, and worked as a clerk for Justice Nicholas Kasirer at the Supreme Court of Canada in 2021-2022. Her main research interests lie in the theoretical foundations of human rights law, federalism, and governance in the digital age.

La ville de Montréal fait face à une crise du logement sans précédent. Les personnes en situation d’itinérance rencontrent plusieurs défis sociaux et économiques, dont une menace constante d’évincement de leurs lieux d’habitation. En mars 2023, la ville de Montréal a annoncé son intention de démanteler un campement informel situé sous une autoroute afin de permettre au ministère des Transports du Québec d’entreprendre un projet d’infrastructure. On estime que le campement, qui existe depuis plus de 10 ans, accueille 15 personnes, qui font face à de graves problèmes de santé physique et mentale.

Suite à la menace d’expulsion, une ONG (“Clinique Juridique Itinérante” ou “CJI”) défendant les droits des personnes en situation d’itinérance a entamé un recours devant la Cour supérieure, demandant une injonction afin d’empêcher le démantèlement du campement. La CJI arguait que les occupants du campement, en cas de démantèlement, auraient droit d’obtenir un logement permanent qui répondrait à leurs besoins particuliers.

Le matin de l’audience pour l’injonction, la CJI et le gouvernement ont annoncé qu’ils étaient parvenus à un accord pour suspendre la procédure et s’engager dans des négociations sérieuses afin de relocaliser chacun des occupants. L’objectif final était de trouver des logements permanents (plutôt que temporaires) qui répondent aux besoins individuels de chacune des personnes concernées.

Vers la reconnaissance d’un droit à l’engagement significatif ?

La décision du gouvernement du Québec d’amorcer des négociations formelles avec la CJI afin de fournir des logements permanent aux personnes touchées est sans précédent, et mérite l’attention des juristes en droit humains comparés. Ni la Charte canadienne ni la Charte québécoise ne garantissent un droit constitutionnel au logement. Bien que ces deux textes aient été interprétés comme garantissant le droit de ne pas faire l’objet de discrimination en matière de logement (par le biais de l’article 15 de la Charte canadienne et de l’article 12 de la Charte Québécoise), les tribunaux n’ont jamais reconnu que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 7 incluait un droit socio-économique au logement. Dans ce contexte, le gouvernement du Québec, en exigeant l’expulsion des occupants du campement, n’avait aucune obligation formelle de fournir un logement permanent en guise de compensation.

Ce qui devrait susciter notre intérêt, c’est que la décision du gouvernement de négocier avec les occupants donne l’impression qu’il a reconnu que les occupants bénéficiaient d’un certain droit (dont il ne spécifie pas la nature). Le droit implicitement reconnu, à mon avis, n’est pas un droit substantiel, global et positif au logement (droit à un de logement convenable pour toute personne dans le besoin), mais plutôt le droit des personnes visées par un avis d’expulsion à ce que le gouvernement s’engage dans des négociations significatives avec elles concernant l’évincement et ses conséquences (semblable à celui reconnu dans le droit sud-africain).

Le droit à un ‘engagement significatif’ (meaningful engagement), en Afrique du Sud, a été interprété comme exigeant les autorités publiques à s’engager dans des discussions significatives à la fois individuelles et collectives, avec les occupants des campements informels (Occupiers of 51 Olivia Rd [13]). Les objectifs du processus bilatéral sont, notamment, de déterminer quelles sont les conséquences de l’expulsion et comment l’autorité concernée pourrait contribuer à les atténuer (Occupiers of 51 Olivia Rd [14]). Comme l’explique la Cour constitutionnelle dans cette affaire, le principal avantage de l’obligation ‘d’engagement significatif’ est qu’elle peut contribuer à la résolution des litiges, à une meilleure compréhension des enjeux et à l’établissement d’un rapport bienveillant entre les parties si elles sont disposées à participer au processus [15].

Un autre avantage du droit à un engagement significatif est qu’il est attrayant pour les États qui ne sont pas prêts à reconnaître un droit au logement à part entière. Ces États peuvent néanmoins être prêts à progresser en ce sens, de manière plus incrémentale, en adoptant un droit à ‘l’engagement significatif’ en matière de logement. L’approche du gouvernement québécois est un exemple de ce phénomène – bien qu’il convient de noter que les négociations avec la CJI ont mené à un accord visant à réinstaller chaque occupant dans un logement à long terme. Cela permet de penser que Québec n’aurait pas seulement reconnu en droit à ‘l’engagement significatif’, mais un droit au logement plus substantiel dans les circonstances où le démantèlement de campements informels est ordonné.

Il reste à voir si l’approche du gouvernement québécois créera un précédent en matière d’engagement significatif, et si les tribunaux québécois, comme en Afrique du Sud, commenceront à émettre des ordonnances d’engagement lorsque le gouvernement ne se conforme pas à cette pratique. L’absence d’ancrage constitutionnel du droit au logement en droit constitutionnel pourrait complexifier cette transition. À tout événement, les juristes québécois bénéficieraient à entamer un dialogue interjuridictionnel avec les juristes sud-africains sur la question du logement et de l’engagement significatif.

Want to learn more?

Share this:

Related Content

0 Comments

Submit a Comment