L’intelligence artificielle à la Cour européenne des droits de l’homme

by | Dec 6, 2023

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About Samira Allioui

Samira is an Associate Professor and Research Associate at the Centre d'études internationales et européennes de l'Université de Strasbourg. Her PhD examined the right of access to the European Judge since the entry into force of Protocol n°14. Previously, Samira studied IHRL (Lyon/Montreal) and holds a degree in Comparative Law (Lyon). Her areas of research covers questions relating to admissibility requirements before international courts and several aspects of international adjudication more broadly.

« En tant que juges, nous sommes tous soumis à une certaine pression pour être plus efficaces et rendre la justice plus rapidement. L’intelligence artificielle offre certaines possibilité en termes de traitement des dossiers. Pourtant, les risques pour les droits de l’homme doivent être clairement compris et gérés » La Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») est la juridiction internationale la plus efficace en termes de nombre de décisions par juge. Cependant, elle continue de lutter contre un énorme arriéré judiciaire. Il semble donc inévitable que la Cour intègre bientôt l’intelligence artificielle dans sa pratique. « L’IA est déjà parmi nous », explique Marija Pejcinovic Buric, et ses défis sont inévitables non seulement pour les individus, mais aussi pour les organisations internationales, notamment celles qui œuvrent pour les droits de l’homme »  

Si elle est utilisée efficacement dans le processus décisionnel juridique, l’IA peut potentiellement apporter des solutions à la myriade de problèmes qui entravent l’administration de la justice. C’est particulièrement le cas à la Cour, qui compte un nombre incroyablement élevé d’affaires pendantes (72000 à la fin de l’année 2022). Il faut toutefois évaluer si les avantages de l’introduction de l’IA l’emportent sur les risques. Les progrès dans l’application des technologies de l’IA influencent de plus en plus la manière dont les juridictions rendent leurs décisions ; par exemple, l’analyse prédictive alimentée par l’IA peut faciliter la prise de décision. Le traitement du langage naturel permet également une analyse rapide de textes juridiques imposants et décisions de justice.

L’avantage le plus apparent de l’utilisation de la technologie de l’IA est le gain de temps. La Cour peut recourir à des solutions technologiques avancées pour traiter des volumes de données infinies. Cependant, il est important de comprendre comment un algorithme prend ses décisions pour déterminer s’il est affecté par des biais ou d’autres facteurs. Cela fait écho à la proposition de la Commission européenne de 2021 pour une réglementation européenne de l’IA, qui qualifie son utilisation dans le cadre judiciaire de risque élevé. En effet, certains algorithmes agissent comme une « boite noire » dans laquelle il est impossible de déterminer comment le résultat a été atteint, tandis que les détails d’autres algorithmes sont considérés comme secrets par les société commerciales qui développent et commercialisent les systèmes d’IA. De plus, les algorithmes doivent être régulièrement testés pour garantir qu’ils fonctionnent toujours correctement. L’utilisation de ces technologies doit donc être faite de manière responsable. Compte tenu de ces évolutions, faut-il, à juste titre, craindre que les justiciables se retrouvent dans des situations dans lesquelles ni le demandeur ni l’avocat ne peuvent expliquer pourquoi certaines décisions ont été rendues ?

Les informations publiques sur les projets de la Cour visant à intégrer l’IA dans son processus décisionnel restent limitées. Il n’y a pas eu de communiqué concernant des modifications de la procédure en faveur de l’automatisation. Seul l’ancien président Spano a expliqué que la Cour travaillait à l’intégration d’un système informatique complexe dans le traitement des affaires, afin de répondre au nombre élevé d’affaires pendantes. La Cour pourrait intégrer des outils algorithmiques au sein du bureau du jurisconsulte, l’unité de recherche qui guide les juges sur la jurisprudence antérieure susceptible d’être pertinente et, au greffe, lorsque cela pourrait alléger la charge de travail de travail des juristes en permettant l’enregistrement automatique des données.

Toutefois, les requérants individuels souhaitant soumettre leur requête risquent d’être davantage privés de leur droit à un recours individuel. Cela risque de rendre le processus décisionnel plus opaque qu’il ne l’est déjà puisque la motivation fournie dans les décisions d’irrecevabilité est déjà très brève. Faute de publication, il est impossible de les consulter. La Cour pourrait minimiser ces impacts non seulement en garantissant la transparence du processus décisionnel mais également en garantissant que la décision finale est cohérente. C’est pourquoi, il est nécessaire de garantir la transparence des données qui alimentent l’algorithme. L’IA pourrait changer la manière dont les affaires sont traitées, mais les chances d’un remplacement complet des juges humains semblent infimes à ce stade. La Cour peut donc tirer profit de la rapidité et de la précision des systèmes automatisés, tout en gardant le juge humain comme arbitre ultime. Pour le moment, la Cour poursuit ses travaux afin de déterminer comment l’IA pourrait l’aider à l’avenir.

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