Le 25 octobre 2022, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement important dans l’affaire Luamba c. Procureur Général du Québec (2022 QCCS 3866). Le demandeur, M. Luamba, est un étudiant qui a été intercepté par des policiers dans le cadre de contrôles routiers « aléatoires », et ce, à trois reprises dans une même année. M. Luamba, comme d’autres personnes ayant témoigné dans le cadre son procès parce qu’elles étaient fréquemment interceptées dans ce contexte, a la peau noire.
Luamba a plaidé que ces contrôles routiers récurrents étaient motivés par du profilage racial. Il a demandé à la Cour supérieure du Québec de déclarer que la règle de common law – ainsi que les dispositions connexes permettant les contrôles routiers aléatoires même lorsque les policiers n’ont aucun motif raisonnable de croire (ou même un soupçon) qu’une infraction a été commise – viole les articles 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité), 9 (droit de ne pas être détenu ou arrêté arbitrairement) et 15(1) (droit à l’égalité) de la Charte canadienne des droits et libertés (“la Charte”). Le juge Yergeau a accepté les arguments de M. Luamba et a conclu que ces atteintes n’étaient pas justifiées en vertu de l’article 1 de la Charte.
D’entrée de jeu, l’arrêt Luamba mérite notre attention car il renverse effectivement un précédent de longue date de la Cour suprême du Canada. En effet, la principale difficulté à laquelle M. Luamba a été confronté dans le cadre de sa contestation constitutionnelle était que Ladouceur, une décision rendue il y a près de 30 ans par la Cour suprême, a jugé que bien que de tels contrôles aléatoires violaient l’article 9, ils étaient néanmoins justifiés en vertu de l’article 1 de la Charte. En vertu du stare decisis vertical, les tribunaux inférieurs, partout au pays, sont liés par cette décision.
Par conséquent, les arguments de M. Luamba ne pouvaient être acceptés que s’il convainquait Cour supérieure, en premier lieu, qu’elle pouvait ignorer Ladouceur, sur la base que l’une des exceptions énoncées dans Bedford pour ignorer un précédent était remplie. Ce fardeau est très exigent : le demandeur doit établir soit (a) qu’une nouvelle question de droit est soulevée en raison d’une évolution importante du droit, soit (b) qu’il y a une modification importante dans les circonstances ou la preuve qui change radicalement la donne (Bedford [42]).
Le juge Yergeau a déterminé qu’il pouvait décider si les interceptions routières sans motif réel violaient les articles 7 et 15(1) de la Charte, parce que cet enjeu soulevait de nouvelles questions de droit qui n’avaient pas été examinées dans l’affaire Ladouceur ou dans des affaires subséquentes (Luamba [135], [146]-[147]). Cependant, la question la plus difficile à trancher demeurait – soit de savoir s’il pouvait revisiter la conclusion de la Cour suprême selon laquelle la violation de l’article 9 était justifiée par l’article 1, puisque cette question avait été explicitement traitée dans l’arrêt Ladouceur.
Le juge Yergeau a conclu qu’il pouvait revoir la conclusion de la Cour suprême [561], principalement en raison du fait qu’une « modification de la situation ou de la preuve » avait « radicalement changé la donne ». Ce changement fondamental, a expliqué le juge Yergeau, a été établi par une preuve abondante de profilage racial par les policiers québécois qui effectuent des contrôles routiers aléatoires. Bien que le profilage racial existât probablement déjà au Canada en 1990, ce fait social n’avait vraisemblablement pas été pris en considération par la Cour dans Ladouceur. Ce changement fondamental a permis au juge Yergeau de revisiter le jugement de la plus haute cour du pays.
L’arrêt Luamba est également significatif car il constitue une reconnaissance judiciaire de l’existence du profilage racial dans les contrôles routiers aléatoires en tant que fait social. Prouver l’existence de faits sociaux non explicites et non tangibles tels que le racisme systémique et les préjugés implicites à l’encontre de certaines communautés est, par nature, une tâche difficile. Que le jugement Luamba soit renversé ou non par les tribunaux d’appel, les déterminations factuelles sous-jacentes du juge Yergeau concernant le profilage racial sont susceptibles de résister, compte tenu que ces déterminations sont très rarement modifiées en appel (Housen v Nikolaisen [24]-[25]). On peut donc s’attendre à ce que le jugement Yergeau conserve un héritage non-négligeable.
De plus, bien que l’effet immédiat de l’arrêt Luamba soit de renverser l’arrêt Ladouceur uniquement au Québec (voir R. c. Sullivan [61]), nous pouvons prévoir qu’il encouragera d’autres personnes à contester l’arrêt Ladouceur dans leur propre province, et que le phénomène « Driving While Black » bénéficiera d’une reconnaissance judiciaire grandissante, pénétrera le discours constitutionnel et recevra des réponses politiques appropriées.
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