Le 22 février 2024, la Belgique a marqué l’histoire en adoptant un nouveau code pénal criminalisant l’écocide dans son droit interne. Il s’agit de la première fois qu’une telle interdiction nationale est adoptée en Europe. L’interdiction belge emporte des sanctions sévères, les individus risquant jusqu’à 20 ans de prison et les personnes morales, jusqu’à 1,6 million d’euros d’amende. En adoptant cette interdiction, la Belgique est également devenue le premier pays à aligner sa législation nationale sur la directive révisée de l’UE sur les crimes environnementaux de 2023, laquelle oblige les États membres à établir une infraction « comparable à l’écocide ».
Tout en reconnaissant le caractère novateur de cette interdiction, un examen plus approfondi de la définition adoptée par la Belgique suggère que cette disposition pourrait ne pas être aussi efficace qu’anticipé. Cet article met en lumière deux lacunes de la définition récemment adoptée, afin de contribuer aux discussions en cours visant l’adoption d’interdictions additionnelles de l’écocide au niveau national.
Le terme « écocide », inventé en 1970 dans la foulée de la guerre menée par les États-Unis au Vietnam, a depuis lors été au cœur de débats définitionnels complexes entravant significativement la mise en œuvre d’interdictions juridiques à cet effet. En 2021, les efforts visant à définir ce concept ont conduit un groupe d’experts indépendants à proposer une définition destinée à être mise en œuvre dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Le groupe d’experts a défini l’écocide comme des « actes illégaux ou arbitraires commis en sachant la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ». Cette définition, bien que non contraignante, a suscité une attention internationale considérable et a alimenté significativement les discussions subséquentes entourant l’adoption d’une interdiction de l’écocide.
Alors que la Belgique s’est appuyée sur la définition du groupe d’experts comme point de départ pour élaborer sa propre définition de l’écocide, elle a finalement adopté une définition beaucoup plus étroite. L’article 94 du nouveau code pénal de la Belgique définit désormais l’écocide comme le fait de « commettre délibérément, par action ou par omission, un acte illégal causant des dommages graves, étendus et à long terme à l’environnement en sachant que cet acte cause de tels dommages, pour autant que cet acte constitue une infraction à la législation fédérale ou à un instrument international qui lie l’autorité fédérale ou si l’acte ne peut pas être localisé en Belgique. »
La décision de la Belgique d’adopter une définition plus étroite par rapport à celle du groupe d’experts est inquiétante. Comme mentionné, la définition du groupe d’experts visait l’incorporation de l’écocide comme cinquième crime relevant de la compétence de la CPI, soit une juridiction de dernier ressort se concentrant sur les crimes les plus graves préoccupant la communauté internationale. Bien que la définition du groupe d’experts demeure imparfaite, il demeure que celle-ci a été soigneusement conçue pour mettre en balance des impératifs d’efficacité et de légalité dans le cadre restrictif du Statut de Rome. Opter pour une interprétation encore plus étroite pour une interdiction au niveau national peut non seulement sembler inutile, mais aussi être loin d’être optimal afin de garantir une protection effective des écosystèmes.
Plus spécifiquement, l’approche étroite de la Belgique appert problématique à deux égards. Premièrement, la définition de la Belgique mentionne un acte « illégal » en vertu du droit fédéral belge ou du droit international applicable. (Par contraste, la définition du groupe d’experts inclut à la fois les actes « illégaux ou arbitraires » ; d’autres propositionsincluaient une liste d’actes interdits.) Compte tenu du peu de normes contraignantes en droit international de l’environnement, l’efficacité de l’interdiction belge repose donc largement sur l’existence d’un solide cadre environnemental en droit fédéral belge. En d’autres termes, les comportements visés par la définition de l’écocide n’élargissent pas de manière significative le champ d’application des comportements déjà illégaux en vertu de la législation nationale belge. L’on peut demeurer dubitatif quant à la valeur dissuasive ajoutée d’une interdiction aussi étroite de l’écocide dans ce contexte, outre une éventuelle augmentation de la peine imposée pour sanctionner des comportements par ailleurs déjà interdits.
Deuxièmement, l’élément mental codifié dans la définition belge est remarquablement rigoureux. Selon cette définition, l’acte allégué doit être commis « délibérément » et « en sachant que cet acte cause » des dommages environnementaux. Cette approche inclut le dolus indirectus, un concept emprunté par les juridictions internationales au droit continental (voir par ex. le paragraphe 530). Cependant, pareil standard s’avère impraticable dans le contexte de l’écocide, compte tenu de la nature souvent imprévisible des dommages environnementaux. Telle que formulée, la définition belge permet aux accusés négligents d’éluder leur responsabilité s’ils démontrent le caractère incertain du dommage résultant de leur comportement incriminé. Le groupe d’experts a favorisé une approche plus large, similaire au dolus eventualis ou à la négligence, ne requérant de l’accusé qu’il « sach[e] la réelle probabilité » que ces actes causent des dommages environnementaux. Bien que l’inclusion d’un tel élément moral reste débattue dans le contexte du Statut de Rome, les juridictions nationales demeurent en principe libres d’adopter un standard aussi bas dans leurs définitions d’écocide.
Dans l’ensemble, l’exemple belge constitue un exemple remarquable – bien qu’imparfait – de leadership étatique dans le domaine émergent du droit de l’écocide. Cet article a mis en lumière deux domaines où l’approche étroite de la Belgique entrave significativement l’efficacité de cette interdiction. Alors que les efforts en faveur de l’interdiction de l’écocide gagnent du terrain à l’échelle mondiale, un plaidoyer en faveur d’interdictions nationales, régionales et internationales solides est plus que jamais nécessaire afin de lutter contre l’impunité persistante des crimes environnementaux.
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